UNE SAGA DE TRESSEURS AUVERGNATS : ÉPISODE 4 - GABRIEL OMERIN
Gabriel OMERIN dans son usine lors d’une visite à de futures employées
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Thibault Omerin, fondateur du Tresseur, dont vous connaissez les lacets colorés et personnalisables, est né dans une famille de tresseurs, forte de six générations successives dans le domaine.
Outre le savoir-faire qui se transmet au fil des générations, c’est surtout une épopée d’entrepreneurs différents, s’inscrivant dans des périodes particulières, marquées par le contexte économique de l’époque. C’est ce que nous vous proposons de découvrir au cours de cette « série » consacrée à chacun des membres de la saga.
Dans ce quatrième épisode nous retrouvons Gabriel Omerin : Le Gestionnaire !
Gabriel Omerin (1934-2022) : Le Gestionnaire
Dans l’épisode précédent, nous avons vu que Jacques Omerin avait orienté ses deux fils vers des études complémentaires – l’ingénierie et le commerce – peut-être dans le but qu’ils travaillent ensemble et développent la société familiale. Mais Michel a souhaité prendre son envol de son côté et lancer sa propre affaire.
Gabriel, quant à lui, après son lycée à Godefroy-de-Bouillon à Clermont, a rejoint l’École Supérieure de Commerce de Lyon (renommée EM Lyon en 1997) et dont on apprit récemment qu’il en sortit major de sa promotion ! Après quoi il fait son service militaire en Algérie et – alors que la situation était pourtant dangereuse en cette fin des années 50 – il décide de chercher du travail à Alger et d’y débuter sa vie professionnelle. Il est alors embauché par la NCR, une firme américaine, concurrente d’IBM.
Fin 1960, dans une ambiance insurrectionnelle devenue irrespirable, il rentre en France avec femme et enfant. La famille s’installera en banlieue parisienne. Gabriel continuera encore, durant une dizaine d’années, son métier de commercial pour la NCR et vendra à des grosses sociétés leurs tout premiers ordinateurs.
Gabriel Omerin, jeune étudiant lyonnais
L’heure de la relève
En 1970, son père a alors 61 ans et décide à son tour de transmettre le flambeau à la génération suivante. Michel ayant orienté son entreprise vers des produits spécifiques, c’est à Gabriel qu’il demande de le rejoindre en Auvergne et de prendre sa suite. C’est une décision importante… et Gabriel qui a dans le sang des gènes de tresseur et toujours dans le fond de l’oreille le cliquetis des métiers à tresser, répond favorablement à son père.
Il rejoint donc l’usine familiale de Job où sont employés une vingtaine de salariés, où sa sœur Marie-Claude fait du secrétariat et du suivi de production, et où son père conservera une petite activité jusqu’à sa mort.
Gabriel apprend vite. En 1974, il prend la décision de créer une SA et d’attribuer à l’entreprise un nom de société clairement identifiable : Tresse Industrie.
Le premier logo de Tresse Industrie en 1974, suivi d’une version modernisée en 1995
Créer de nouvelles gammes
Son frère Michel avait raison de vouloir sortir la production de la bonneterie et du lacet. Non seulement d’autres entreprises locales ou stéphanoises étaient plus compétitives, mais déjà les productions étrangères et asiatiques venaient casser le marché sur ces produits à faible valeur technique. Mais Gabriel n’allait pas faire concurrence à son propre frère. Il fallait innover et se tourner vers d’autres produits. Une de ses qualités premières étant la curiosité, il s’intéressa à tout ce qui était tressé afin de voir s’il pouvait le produire, s’il pouvait l’améliorer et si cela pouvait devenir un marché porteur.
C’est ainsi qu’il produisit de grandes quantités de cordon de tirage (ou corde à rideaux), se lança sur le marché de la drisse nautique ou, dans les années 80, dans la production de tire-veilles (corde semi-élastique permettant de relever les planches à voile). On le vit aussi innover en produisant de la tresse à dessouder et du cordon tressé conducteur afin de remplacer le fil de fer électrique des parcages d’animaux… ou plus tard en lançant un fil de pêche tressé « spécial poisson carnassier ».
Mais l’innovation principale, qui en fera le produit « must » des années Gabriel, sera la gaine monofilament. C’est une gaine tressée en fils de polyester, extensible, destinée à l’automobile, l’aviation, le ferroviaire. Il suffit de soulever le capot d’une voiture pour en voir, solidifiant les durites, protégeant les faisceaux de câbles, etc.
Un virage important était pris : celui d’une orientation de l’entreprise vers des produits de plus en plus techniques et destinés aux grands marchés de l’industrie, en particulier de la mobilité.
Gabriel Omerin en 1982
Échantillons produits
Plaquette commerciale pour la tresse à dessouder, datant des années 90
A nouveau virage, nouvelle implantation
On a beau repousser les murs… il faut un jour se rendre à l’évidence qu’un déménagement s’impose. C’est une autre des grandes décisions de Gabriel : quitter l’usine historique fondée par son arrière-grand-père et rejoindre la zone industrielle d’Ambert, comme son frère l’avait fait avant lui.
Ce sera un très gros chantier étalé sur 1989 et 1990, mais aussi une bouffée d’oxygène, permettant de rêver plus grand.
Gabriel sera aidé en cela par son second fils, Pierre, qui a rejoint l’entreprise en 1988.
Les nouveaux bâtiments permettront d’accueillir plus de machines et plus de personnel.
Une nouvelle aventure commence. Une autre sera une nouvelle fois de transmettre ses multiples savoirs et son entreprise à la génération suivante…
Comme ses aïeux avant lui, Gabriel (appelons-le Gaby pour conclure) ne quittera jamais complètement l’entreprise, bien que retraité depuis longtemps. Sa fierté : voir qu’avec Pierre la société a pris une dimension spectaculaire et aussi qu’avec ses petites-filles qui ont rejoint leur père – et Thibault de son côté avec Le Tresseur – une 6e génération de tresseurs Omerin pointe son nez !
La nouvelle usine en zone industrielle d’Ambert à la toute fin des années 90
L’une des dernières photos de Gaby moins d’un mois avant son décès, fier du stand de Thibault son petit-fils, et devant le vieux métier bois qu’ils ont restauré ensemble.
Contexte
En 1970, quand Gabriel vient prendre la relève de son père dans l’usine familiale, les années dites des Trente Glorieuses ont presque fini d’être. Une nouvelle crise liée aux prix du pétrole va bientôt apparaitre. Mais le monde est entré définitivement dans une nouvelle ère de modernité. L’automobile s’est démocratisée. Les avions de ligne et les aéroports ont ouvert les portes d’un monde plus accessible. L’industrie s’est de plus en plus automatisée.
Du côté des tresseurs auvergnats, comme ailleurs, les ateliers artisanaux des « patrons-paysans » sont devenus de véritables usines. Les sociétés ne sont plus seulement des façonniers, mais commencent timidement à travailler en direct avec le client final. Elles s’affichent en tant qu’entreprise ou que marques. Leurs produits eux-mêmes sont devenus plus techniques, voire brevetés, afin de continuer à se démarquer par la qualité et l’innovation d’une concurrence internationale à bas coûts.
Un tournant irrémédiable a été pris, orienté vers le nouveau siècle.